Silence on restaure !
La restauration en cours de la pagode Unnalom soulève des questions importantes liées à la compréhension du passé de la ville.
L’absence troublante de l’histoire
« Restauration » et « réparation » se disent de la même façon en Khmer ; l’emploi prolifique de ce mot peut se constater depuis quelques années dès qu’il est question d’un bâtiment qui a le malheur de porter ombrage à la modernité.
La « restauration » de la pagode Unnalom a donc débuté il y a un peu plus d’un mois dans la frénésie et l’absence habituelle de transparence. La plupart des bâtiments qui viennent d’être détruits ont été construits dans une période qui s’étend des années Trente aux années Soixante et contribuaient grandement au charme des lieux. Le Cambodge présentait la particularité d’avoir plus de vestiges du 11ème que du 19ème et est bientôt en passe de ne rien garder de son architecture du 20ème siècle. En ce qui concerne les pagodes, on peut toujours arguer du fait que le Bouddhisme entretiendrait par nature des relations d’indifférence au bâtiment ; la construction d’un sanctuaire est un acte de dévotion lié à l’acquisition de mérites et s’effectue en général sur la destruction du sanctuaire précédent. De ce contexte où l’essentiel consiste à ériger et non pas à conserver, on peut tirer une opposition entre le sacré, à savoir l’érection d’un bâtiment, et le profane qui s’entend ici comme protection et conservation des monuments du passé. En d’autres termes, dans la culture khmère contemporaine, la visualisation d’un passé à travers la présence de strates qui traduisent en un lieu un déroulement de l’histoire semble n’avoir aucun intérêt. On citera bien sûr le contre exemple du groupe d’Angkor sans voir que ce complexe est désormais très largement sorti de l’histoire pour entrer dans le mythe comme en témoignent très bien les réactions qui frisent l’hystérie à l’occasion de remises en cause réelles ou supposées telles du dogme angkorien. Nous avons tous à l’esprit la virulence des propos provoqués par les déclarations de Keng Vannsak sur les possibles origines cham de Jayavarman VII et là, nous voilà bien hors de l’histoire.
Cette éradication des édifices du passé n’est pas nouvelle et la question se pose de savoir si elle est inéluctable. Les enjeux sont bien clairs car la destruction d’une pagode signifie souvent la disparition à jamais d’une architecture originale et de témoignages d’oeuvres d’art du passé ; au rythme actuel des « restaurations », nous n’aurons bientôt plus aucun témoignage de l’art khmer des pagodes des 150 ans passés. Dans des pays voisins comme la Thaïlande, une prise de conscience s’est bien produite et a, par exemple, résulté dans des campagnes de protection de l’art pictural des monastères, ce qui tend d’ailleurs à montrer qu’un cadre bouddhique n’est pas un handicap en matière de conservation. Hélas, rien de tel au Cambodge où rien n’incite à l’optimisme.
Les avantages potentiels d’une destruction
La pagode Unnalom présente pour l’histoire de Phnom Penh un intérêt majeur ; sa tour du 12ème ou du 13ème siècle constitue la preuve que le site est hors de l’eau au moins depuis cette époque et que la région des Quatre bras a donc été anciennement occupée de façon urbaine. Dans un article sur la tour de la pagode Unnalom, Olivier de Bernon a analysé l’intérêt que présente ce site qui n’a curieusement été l’objet que de peu de commentaires ; la présence de ce site permet par exemple de déduire que l’histoire de la fondation de Phnom Penh par le roi Ponhea Yat au 15ème siècle est purement et simplement fausse à plusieurs siècles près.
La destruction actuelle pourrait donc avoir au moins un avantage si on acceptait de faire un peu d’archéologie préventive sur ce site. Ce qu’il reste du monument fait penser à un vaste ensemble et il est déplorable qu’on ne profite pas de l’occasion pour mettre à jour l’emplacement des enceintes, des Gopuras et des bassins qui entouraient nécessairement le monument.
Pour un expert interrogé et qui souhaite garder l’anonymat, Vat Unnnalom est « l'illustration malheureuse que l'archéologie de la région de Phnom Penh – ville de Phnom Penh, abords des Quatre Bras, presqu'île de Chrouy Changvar, et l'ensemble du Prèk Thnot (long canal bordé de vestiges pré-angkorien qui part d'Est en Ouest au sud de Phnom Penh) – est la parente pauvre, et même misérable de l'archéologie khmère alors qu'elle serait d'un intérêt crucial ».
Les fouilles n’auront vraisemblablement pas lieu et cette occasion unique de découvrir le vrai passé historique de la région ne sera pas exploitée. Il est, à cet égard, tout à fait désolant qu’il n’y ait eu aucune protestation et que tout se passe dans l’indifférence la plus totale, sans que le ministère de la culture ou d’autres institutions concernées n’aient fait la moindre proposition.
Là encore, il serait raisonnable d’opérer une division entre le religieux et la notion historique de patrimoine ; personne ne songe à remettre en question les prérogatives du clergé bouddhique dans la gestion de ses sanctuaires et des modifications qui y seront apportées, mais cela doit se faire dans la prise en considération des vestiges du passé et, à l’exemple des autres pays de la région, il ne semble pas qu’il y ait incompatibilité.
La balle est dans le camp du gouvernement cambodgien à qui devrait revenir la tâche de définir la notion de patrimoine et de mettre en oeuvre les moyens de sa protection tant qu’il en est encore temps.
Jean-Michel Filippi