Projet de musée de la région de Kampot I
Ce texte est le premier volet d'une série hebdomadaire sur le projet de musée de la région de Kampot. Son but est de susciter intérêt et soutiens pour ce projet.
Dans ce texte, la région de Kampot doit se comprendre comme un ensemble naturel dont les limites historiques et géographiques n’ont plus grand chose à voir avec la nouvelle configuration imposée de facto par la création récente des provinces de Kep et Kompong Som.
Dans notre acception, cet ensemble est circonscrit par la ville de Tani au nord, la mer et les îles (dont Koh Trâl – Phu Quoc) au sud, Ha Tien (aujourd’hui au Vietnam) à l’est et les contreforts des Cardamomes à l’ouest. Dans cette optique les villes de Kep et de Kompong Som, quoique nouvellement constituées en provinces, sont intégrées à la région de Kampot.
L’identité de cette région est particulièrement marquée par l’histoire mouvementée de ses rapports avec les pouvoirs de tutelle qui se sont succédés depuis le début de l’ère chrétienne : à des périodes d’intégration vont succéder des périodes d’isolement.
Pendant la période préangkorienne, cette région est un appendice du royaume du FUNAN.
Trois temples troglodytes principaux (Phnom Chhgok, Phnom Totoeung et Phnom Khjang) en témoignent ainsi qu’un nombre important de sanctuaires secondaires.
Contrairement à la province voisine de Takeo où des sanctuaires continueront à être construits après le 9ème siècle, la région de Kampot voit son histoire « s’arrêter » à la fin du 9ème siècle avec l’inscription en langue sanscrite et en deux écritures (Pallava et Devanagari) du roi Yaçovarman 1er (K 45).
Nous serons dès lors privés de documents écrits au moins jusqu’au 15ème siècle.
La région sera ensuite l’enjeu de rivalités importantes qui, à partir du 18ème siècle, opposeront pouvoir central cambodgien et Vietnamiens.
L’arrivée massive de Chinois dans la seconde moitié du 17ème siècle aura des conséquences politiques importantes. Cette population sera plus prompte à obéir à ses chefs de guerre qu’aux autorités du royaume du Cambodge.
La région voit son importance affirmée à l’époque du roi Ang Duong (1847 - 1860) qui construira un port à Kampot, devenue alors la porte de sortie du Cambodge, et une route pour relier à Oudong, sa capitale, à Kampot.
Une nouvelle route Phnom Penh – Kampot sera construite au début du protectorat français (1863 - 1953) ; se trouve ainsi confirmée pour une courte durée l’importance économique de la région et son rôle de débouché pour le Cambodge.
Cependant, le protectorat substituera très vite Cholon à Ha Tien comme porte de sortie du riz cambodgien. S’ensuivra dans une région administrativement excentrée une recrudescence des actes de piratage.
Cette insécurité atteindra son apogée dans la rébellion de 1885 - 1886 qui sera plus violente que dans les autres provinces.
Au développement économique et touristique dans les années 1930 (Kampot, le Bokor et Kep, etc.) va succéder une période d’insécurité au lendemain de la seconde guerre mondiale alors que la France tente de reprendre pied en Indochine.
La région est au coeur d’une guérilla Khmer Issarak – Viet Minh qui ne cessera vraiment qu’avec l’indépendance (1953).
La période du Sangkum Reastr Niyum (1955 - 1970) continue la politique d’urbanisation et de développement de la région commencée à l’époque du protectorat.
Cela se traduit par de gros ouvrages comme le hall d’exposition de Kampot,
la construction de la voie ferrée Phnom Penh – Kampot - Sihanoukville
et surtout la construction de Sihanoukville
Cependant, deux ans après le coup d’état de Lon Nol (mars 1970), la région sera en proie à la guerre civile.
Le Kampuchéa Démocratique (1975 - 1979) videra les villes et attèlera la population à des réalisations à la fois grandioses et illusoires comme la digue 75 sur les polders de Pre Nup.
Après la chute du régime khmer rouge, la région sera soumise à une insécurité considérable et restera isolée au delà de l’opération de l’APRONUC (1991 - 1993).
Le commerce mais aussi les frondes qui se traduisent par des retraits récurrents du paysage administratif cambodgien vont largement ouvrir cette région sur l’extérieur et lui conférer une diversité ethnique des plus remarquables. En sus des Khmers, on dénombre plusieurs groupes ethniques:
Les S’aoch
Les Cham
Les Chinois Hainan et Teochiu
Dans une vieille logique Sud-est asiatique, ces différentes ethnies vont se spécialiser dans des productions particulières et façonner ainsi le panorama économique de la province.
Cette diversité ethnique va de pair avec une grande richesse religieuse où le Bouddhisme côtoie l’Islam et un Taoïsme très particulier.
La pagode de Phnom Totoeung, au centre. A gauche, un des deux bassins rituels (7ème siècle)
A ces caractéristiques historico-culturelles vient s’ajouter un environnement naturel d’exception ; chaîne de l’éléphant, collines de forêts primaires qui enserrent la ville de Kep, beauté de la côte d’opale, etc. contribuent à faire de cette région une destination touristique de première qualité.
Il importe donc de mettre en place un espace d’exposition qui rende compte des caractéristiques de cette région et qui atteste de la valeur d’un patrimoine à protéger et promouvoir.
(A suivre)
Jean-Michel Filippi